dimanche 8 avril 2007

Île et Elle (suite de l'article précédent)

(étrange pour une suite de suivre ce qui la précède, me direz-vous)

Le soleil n'était pas levé, mais le ciel commençait à se teinter de jaune, on a repris la route, en direction de l'île de Ré.
Le pont était là, devant nous, et bientôt sous les roues et sous les phares de la voiture. Il se tenait immobile, enjambant un bout d'océan, avec ses aires d'épine dorsale de dinosaure marin, tapi dans la semi-obscurité de l'aube encore à venir.
Et puis il a été derrière nous ; c'était le dimanche matin, et nous étions sur l'île de Ré.

On a roulé un moment, sur les jolies routes, entre les champs et les vignobles. On a roulé pour aller loin du continent, on a roulé pour voir l'île défiler autour de nous, on a roulé pour sentir l'aube s'annoncer, petit à petit, on a roulé pour rouler, parce qu'on était si bien, là, sur cette île, à rouler.

À un embranchement, on s'est arrêtés. Le paysage était plein de brume, tellement calme, tellement silencieux. On aurait pu croire à un paysage d'Écosse, avec les marais tourbeux alentour, l'herbe dense et d'un vert profond, les murs de pierre noire, les arbres nus et frileux.

Cet endroit m'a fait une impression très étrange.
Il n'y avait pas une âme qui vive en vue, à part quelques ânes assoupis. Il était encore trop tôt pour que quiconque dans le hameau ne soit réveillé. Les oiseaux dormaient encore, eux aussi. Pas un bruit, pas un mouvement. Nous étions deux intrus passés au travers du cadre d'un tableau.
Ce paysage avait quelque chose de "hors du temps", et notre parenthèse loin des heures et loin du monde s'y trouvait vraiment bien, malgré le froid mordant.
Transits, on a finit par retourner à la voiture, chauffage à fond. J'étais gelé mais vraiment heureux. Joyeux, fébrile et extatique : le sentiment de liberté a eu plus d'effet sur moi que le rhum de le veille.


Nous sommes repartis, toujours en nous éloignant du continent, ce qui n'a pas manqué de nous amener au phare des baleines (le bout du bout de l'île).
Là encore, nous étions seuls. Dans un lieu aussi touristique que le phare des baleines, ça avait quelque chose d'irréel.
Le phare émergeait dans la brume du petit matin qui s'était décidé à arriver finalement, mais qui était encore particulièrement frais et timide.

Nous avons contourné le phare, pris un petit chemin de terre, grimpé une butte, et la mer était là.
Bien sûr, on l'avait déjà vue, à la Rochelle, domestiquée, parquée dans le carré des ports, enfermée par les écluses. On l'avait vue en franchissant le pont, soumise, crucifiée par ses piliers et franchie comme de rien par des milliers d'automobilistes qui la regardent de haut. On l'avait vu, aussi, de loin en traversant l'île, aperçue depuis les petites routes, lointaine, distante, abstraite.

Ici, la mer était sauvage et belle.
Sauvage. Laissant voir des hauts-fonds sablonneux ; bordée d'une plage battue par le vent ; surplombée par une courte butte recouverte d'ajoncs et parsemée d'arbres tordus, elle laissait entendre son sourd grondement provenant de toute part. Sûre d'elle, elle ne grondait pas fort : quand on ne craint rien ni personne, on gronde un avertissement, pas une menace.
Belle. Les vagues calmes, clapotantes, roulantes, avec leurs mouvements gracieux, avaient quelque chose d'aguicheur, d'hypnotique. Dans le brouillard glacée, l'eau et le sable se fondaient : les vagues d'eau salée allaient à la rencontre des bancs de sable, vagues immobiles, et venaient en épouser la forme en douceur. Mate du sable humide, brillant du sable mouillé, reflets discrets de l'eau, en dégradé parfait dans la lumière timide du matin brumeux. Le tout dans des beiges, des ocres, des gris et des vert-de-gris.
La beauté profonde, naturelle, sans ostentation ; les mouvements séduisants, élégants ; l'avertissement discret du ressac qui imprègne et que l'on n'entend plus, tellement il est omniprésent... Tout le monde le sait, c'est dans la mer que l'on trouve les sirènes.

La jolie demoiselle est allée tremper ses pieds dans l'eau ce qui leurs a valu des teintes allant du violet au rouge vif en passant par des jaunes orangés. L'océan se rappelait de Février.

Un jeune couple est apparu, pas très loin, sur la plage, en franchissant la même butte que nous avions franchie quelques minutes avant. Que faisaient-ils ici ? Trop tôt pour des touristes. Pas assez préoccupés pour travailler ici. Peut-être étaient ils comme nous, deux transfuges échappés du temps.

Toujours trop peu habillés pour le froid pénétrant et le vent cinglant (nous étions partis par une chaude matinée et nous étions sensés rentrer dans la tiède soirée...) nous avons battu en retraite à la voiture.
Avec l'idée de se réchauffer un peu avec quelque chose qui ressemblerait à un chocolat chaud, nous nous sommes arrêtés à Ars en Ré. Il y avait là quelques habitants fraîchement levés, au hasard des ruelles ; un très joli cimetière dans lequel nous avons trouvé une tombe juive au milieu des tombes catholiques ; des maisons blanches et lisses, typiques de l'île... Mais pas de chocolat chaud.

En désespoir de cause, j'aborde un passant. Quarante-cinq ou cinquante ans, l'air digne de l'habitué du lieu, s'en retournant probablement chez lui après une course matinale. Je me rappelle que je m'étais dit que vu le froid, mon jeune âge et mon air de touriste tombé de la rosée du matin, j'aurais au mieux droit à une vague direction et un sourire d'excuse. Comme quoi, les préjugés...
Ce brave monsieur s'est arrêté, a prit le temps de nous regarder, nous a souri. Il nous a dit qu'on était un peu loin du centre du village, que ce n'était pas facile à trouver, d'ici. Il a hoché les épaules et, en faisant demi-tour, nous a dit qu'il allait nous guider, que de toute façon c'était son chemin (son chemin faisait-il réellement un demi-tour à cet endroit là ? ...).
C'était un peu fou... Nous avions été seuls lorsque nous en avions envie ; pour profiter de la mer et malgré le côté touristique du lieu ; nous avions maintenant besoin d'un guide, il tombait du ciel. J'ai eu un moment le sentiment que si je pensais à quelque chose et que je claquais des doigts, j'avais mes chances que ça se produise...
Il était visiblement heureux de nous faire visiter le village, nous montrant tout (la maison de Lionel Jospin), discutant des prix de l'immobilier (devinez le prix de cette maison), saluant tous les habitants par leur nom, échangeant trois mots avec eux, mais sans s'arrêter. Les gens nous regardaient passer, se demandant sûrement si nous étions ses neveux et fourbissant les potins.

Au détour d'une maison, nous sommes arrivés sur le petit port d'Ars-en-Ré, blotti entre les commerces du village. Le lieu est un curieux mélange de village de campagne endormi et de lieu touristique pour initiés. Le soleil commençait à se montrer, timidement.
Le gentil monsieur tombé du ciel nous a indiqué un café à la décoration étonnante et nous a laissés au seuil, tout simplement, avec un mot gentil.
Il est des gens pour qui j'aimerais avoir la plume de Brassens pour rajouter un couplet à la chanson pour l'auvergnat.

Nous étions les deux seuls clients du café. La décoration était, comme promis, surprenante. Chaque bout de mur ou de plafond était orné d'un objet, insolite, usuel, artistique... Des skis, des crosses de hockey, des statuettes, des photos de stars, pas d'ornithorynque, des plaques de bronze brillantes gravées du nom de quelqu'un, des raquettes, des battes de baseball et pas de raton-laveur non plus...
Le chocolat chaud que l'on a pris avait le goût d'une journée superbe, où l'on a vu, seuls, le jour renaître au dessus de l'océan. Il était d'autant meilleur qu'on avait eu froid. Et les croissants au beurre qui l'accompagnaient avaient ce même goût de plénitude.

Le temps de finir le déjeuner, le soleil s'était fait plus sûr de lui et il semblait vouloir nous prouver qu'il pouvait nous réchauffer au moins aussi efficacement que le chocolat chaud.
Nous avons flâné un moment dans les ruelles (ho, tiens, ce doit être la boutique de l'antiquaire dont nous a parlé tout à l'heure le gentil monsieur), puis en retombant sur l'église (que notre guide improvisé nous avait montrée) on s'y est arrêtés.
Il y a toujours la même ambiance, fraîche et pleine de silence, dans une église. Il y avait dans celle là une très jolie lumière ; à croire que le soleil voulait se faire pardonner son abscence du matin.

En ressortant, nous nous sommes assis un moment, au soleil, sur les marches devant l'église. Le petit matin frileux était loin, maintenant. J'avais le soleil qui caressait mon visage, la tête de la jeune fille sur mes genoux, un bon livre dans une main et l'autre dans ses cheveux. Peut-être que oui, je pouvais penser à quelque chose et l'obtenir en claquant des doigts, mais ça aurait été prendre le risque de la réveiller.

Quand elle s'est réveillée, on s'est dit que ce serait bien de trouver une plage, maintenant qu'il y avait du soleil. On en a trouvé une, un peu plus loin.
Il y avait des rochers, du sable, des algues, des flaques là où la mer était passée à marrée haute. Il y avait un mur qui courait jusqu'au bord de l'eau. On s'est assis là, sous le ciel limpide, sur les rochers, adossés au mur, entre les flaques.
Elle a remis la tête sur mes genoux ; j'ai remis ma main dans ses cheveux. Elle s'est rendormie et j'ai recommencé à lire et à regarder l'océan.
Bon, allez, peut-être qu'elle dort assez profondément... Je voudrais qu'un grand piano à queue apparraisse là, sur la plage et que le temps nous oublie encore une semaine ou deux... *clac*
Bon, ça va, elle ne s'est pas réveillée. J'aurais eu l'air fin...

C'est là que nous avons commencé le chemin du retour. En prenant le temps de s'arrêter sur une autre plage, juste avant le pont. Il y avait beaucoup plus de monde, et des gens qui faisaient du Kitesurf. Puis en s'arrêtant à la Rochelle, le temps de manger un morceau.

Voilà à quoi a ressemblé ce week-end là. Depuis le temps que je raconte, vous avez peut-être oublié ce qu'il aurait dû être. Moi je ne l'ai pas oublié un seul instant. Le genre de bouffée d'oxygène qui vous rappelle pourquoi il faut prendre sa vie à bras le corps. Qui redonne le courage d'affronter le quotidien parce qu'entre les semaines de routine, il peut y avoir des moments de magie ; parce qu'il y a des gens avec qui la routine n'existe pas, justement ; parce que, peut-être, mon vœux ne s'est pas réalisé quand j'ai claqué des doigts seulement parce que c'était le deuxième que je formulais : le premier était autour de moi, juste sous mes doigts.

Ces deux jours (et un peu plus) sont rangés dans la boîte à trésor de mon cœur détraqué.
Si certains peuvent conjurer la pluie en y pensant très fort, il me suffit de penser juste un peu à cette parenthèse pour chasser les nuages qui parfois viennent assombrir mon humeur.

Quand à la jeune fille dont j'esquisse à peine la présence dans ces lignes, n'allez pas croire que c'est parce qu'elle n'était pas très présente. C'est uniquement parce que si j'en parlais davantage, les paysages de l'île de Ré paraîtraient ternes par contraste...
Pour résumer les choses en quelques mots seulement, je pourrais dire que l'on a passé ces deux jours ensemble, vraiment. Je veux dire que parfois on vie "les mêmes choses en même temps" sans pour autant être ensemble. Là, nous avons vraiment partagé ce moment. Peut-être parce que nous avions le même besoin d'escapade, le même besoin de rupture avec un quotidien difficile, la même envie de passer un moment loin, de s'abîmer dans la contemplation de la mer, d'être vivant.

2 commentaires:

Orion a dit…

Prends soin d'Elle, Elle est précieuse.
Ce moment de silence au matin, alors que les animaux nocturnes sont déjà couchés et que les animaux diurnes ne sont pas encore levés, j'en ai seulement entendu parler, sous le doux nom d'"Heure Bleue". C'est un moment très précieux, il est rare de le vivre par hasard, et de le vivre ensemble. Vous deux, chérissez bien ce souvenir.

Anonyme a dit…

J'ai vécu la même chose à Trouville, en février de l'année dernière, par un week end bien chaud pour la saison... Les émotions me prennent aux tripes, je perçois les tiennes, elles se mélangent aux miennes, et je ressens quelque chose de vraiment très fort. Et j'avais envie de le dire.